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Migrants-naufragés en Méditerranée : Les ONG européennes peuvent mener un plaidoyer commun pour améliorer les secours - Pierre Micheletti



Pierre Micheletti,
Membre de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH)
Administrateur de SOS Méditerranée
Ancien président d’Action Contre la Faim et de Médecins du Monde – France


Coup de vent sur la rade d'Alger, Théodore Gudin, 1831, musée de la Marine, Paris

 

Des voix s’élèvent de toutes parts pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement1.

Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80% des ressources annuelles, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants-naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable ».

La perspective des élections du nouveau Parlement européen en juin 2024 donne à la question du sauvetage un relief et des enjeux cruciaux, car les futures orientations de l’UE seront bien-sûr influencées par le résultat de cette élection.

La Méditerranée est la porte d’entrée principale vers l’Europe, et l’épicentre mondial de la mortalité des migrants

Une migration vers l’Europe qui a connu une nette augmentation en 2023

La Méditerranée centrale est redevenue (depuis les années 2014-2017) la principale voie d’entrée de migrants en Europe2. Plus de la moitié des migrants irréguliers recensés sur cette route (56 %) en 2023 proviennent d’Afrique subsaharienne, principalement de Guinée et de Côte d’Ivoire. Les autres nationalités les plus représentées, par ordre décroissant : Egypte, Tunisie, Bangladesh, Pakistan, Burkina Faso, Syrie, Cameroun, Mali3.
 


Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies, 266 940 migrants et réfugiés ont débarqué – à 97 % par voie maritime – en douze mois dans les Etats méridionaux de l’Europe : Espagne, Italie, Grèce, Malte et Chypre.
L’année 2023 aura confirmé la tendance à la hausse des flux d’arrivées via la Méditerranée, et – phénomène nouveau – par l’Atlantique, et l’archipel espagnol des Canaries.
Cette poussée marque une augmentation de 67 % par rapport au nombre d’arrivées en 2022 en Europe.
La décrue qui avait suivi le pic historique de 2015 a cessé et les courbes repartent à la hausse.
Absorbant 59 % de ce courant migratoire traversant la mare nostrum, l’Italie est en première ligne.
La Tunisie est devenue le point de départ primordial vers l’Europe, remplaçant dans ce rôle la Libye. En 2021, les deux -tiers du flux d’arrivées en Italie provenait de Libye, contre un tiers provenant de la Tunisie. La proportion s’est aujourd’hui inversée. Le flux émanant du littoral libyen (soit 52 000 personnes) est resté constant de 2022 à 2023 quand celui issu des côtes de Tunisie faisait plus que tripler.

 

Des décisions politiques récentes peuvent encore renforcer les flux migratoires vers l’Europe

La clarification des politiques mises en oeuvre par l’UE est d’autant plus nécessaire que les pays de la zone sahélienne prennent des décisions qui peuvent avoir des conséquences sur l’appauvrissement des pays comme le Niger, le Mali et le Burkina Fasso qui viennent de décider de quitter la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CDAO), avec des diminutions potentielles des « remises migratoires » des émigrés de ces pays travaillant en Afrique subsaharienne4. Un renforcement des trafics, renforcé par la pauvreté et la récente abrogation par le Niger de la Loi condamnant ces activités est à prévoir5.

Les flux migratoires vers l’Europe, dont l’augmentation a déjà été forte en 20236, pourraient connaître une nouvelle accélération.

 

La Méditerranée centrale est la voie la plus dangereuse dans le monde pour les migrants

Les drames récurrents – pas toujours documentés car certains naufrages se font sans témoins – des noyades en Méditerranée sont aujourd’hui l’une des expressions les plus pathétiques de la fuite à tout prix de personnes désespérées, acceptant tous les risques dans leur aspiration à plus de sécurités fondamentales. C’est ainsi en Méditerranée que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est ainsi estimé à 28 888 personnes.

 

Nombre de décès le long des routes migratoires du 1ᵉʳ janvier 2014 au 27 janvier 2024. Projet migrants disparus : https://missingmigrants.iom.int/fr 


Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est la question du devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette question relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat. Ni au regard du Droit de la mer7, ni en référence au Droit International Humanitaire8. Dès lors, comme l’a également réaffirmé la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), l’acceptance et l’inertie des gouvernements des Etats-membres de l’UE - sous couvert de lutte anti-migration - devant les drames récurrents est intolérable : au plan moral, légal et politique9.

L’Union européenne, financeur primordial de l’aide humanitaire internationale, fait preuve de cécité sur les drames qui surviennent à ses portes

Le découpage de la Méditerranée en zones de Recherche et de Sauvetage (SAR)
 


Une zone SAR (“search and rescue”) est un espace maritime aux dimensions définies, où des services de recherche et de sauvetage sont assurés par un État côtier à proximité, à commencer par la coordination des opérations. Une zone SAR s’étend à la fois sur les eaux territoriales et internationales ; ce n’est pas une zone où l’État jouit d’une autorité ou de droits étendus, mais plutôt un espace de responsabilité. Au sein de sa zone SAR, l’État côtier doit assurer la prise en charge et la coordination des secours en mer et trouver un lieu sûr où débarquer les rescapés10. Un « lieu-sûr » se définit comme une destination où les naufragés verront assurés leurs besoins vitaux fondamentaux (abri, nourriture, eau, accès aux soins…) ; où ils seront en sécurité ; et où ils pourront bénéficier d’un examen de leurs droits en vue d’une éventuelle demande d’asile.

La zone SAR libyenne, principal théâtre d’intervention des navires de sauvetage, a été créée en 2018. Depuis cette date, elle concentre des dysfonctionnements et des violences, passées sous silence par l’UE qui finance le dispositif mis en place dans ce pays. Ces agissements des garde-côtes libyens sont ainsi régulièrement dénoncés par les ONG.

Jusqu’à 2018, la Libye n’avait pas déclaré de zone SAR au large de ses eaux territoriales, faute d’une flotte suffisante et surtout d’un « centre de coordination » fiable, capable de communiquer avec la haute mer. Pour éviter un « triangle des Bermudes » des secours, les Italiens avaient alors élargi de fait – sinon en droit – leur champ d’activité. Le 28 juin 2018, Tripoli a soudainement déclaré sa zone « SAR » et son « centre de coordination » auprès de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), officialisés du jour au lendemain. Les Italiens ont alors passé le relais.

Cette évolution résulte d’un vaste programme européen de soutien à la Libye datant de 2017, doté de 46 millions d’euros, qui visait tout à la fois le renforcement des frontières de l’Union, la lutte contre son immigration illégale et l’amélioration des opérations de sauvetage en mer. Ce plan prévoyait des moyens financiers de 6 millions d’euros par an, sur plusieurs années, pour aider Tripoli à créer sa propre SAR et son Centre de coordination et de secours maritime (Maritime Rescue Coordination Center MRCC). A ce budget, était adjoint 1,8 million d’euros, via le Fonds pour la sécurité intérieure de l’Union11, sans que l’on connaissance précisément le contenu des prérogatives et demandes faites aux autorités libyennes pour jouer ce rôle.

Malgré les dénonciations récurrentes des ONG sur le comportement des garde-côtes libyens, l’UE se félicite des résultats obtenus12.

 

L’abandon du dispositif Mare Nostrum, témoin d’un défaut de solidarité des pays européens

Le naufrage survenu le 3 octobre 2013 à Lampedusa, coûtant la vie à 366 migrants, provoqua une profonde émotion en Italie et Enrico Letta, alors président du Conseil, déclencha une opération militaro-humanitaire destinée à la fois à secourir les immigrants naufragés et à dissuader les passeurs. Ce dispositif, souvent salué pour son efficacité et son humanité, a eu une durée de vie éphémère. Le coût de ce déploiement militaire était important, estimé à environ 9 millions d'euros par mois. Il fut presque entièrement supporté par l'Italie, l'Europe n'ayant accordé qu'une aide minime, dont Rome demandait avec constance l'augmentation.

Outre son coût, cette opération fut aussi critiquée car elle aurait eu, selon ses détracteurs, l'effet inverse de celui recherché en facilitant le passage de clandestins. En effet, certains passeurs se contentaient d'acheminer leurs passagers dans les eaux italiennes à l'aide d'un navire-mère, puis les abandonnaient à bord de petites embarcations.

Pour ces raisons, de nombreuses personnalités en Italie demandèrent l'arrêt de l'opération. Ce fut notamment le cas du ministre de l'Intérieur Angelino Alfano. Il annonça finalement le 27 août 2014 que cette opération serait remplacée par « Frontex Plus », un programme géré par l'Union européenne de contrôle des frontières, et que l’UE prendrait le relais de l'Italie dans son financement.

L'opération prendra donc fin le premier novembre 2014. En remplacement, Frontex mènera l'opération Triton13, mais, bien moins ambitieuse, celle-ci se contentera de patrouiller dans les eaux territoriales italiennes, elle n'aura ni mandat ni équipement pour procéder à des opérations de recherche et sauvetage en haute mer14. L’abandon de ce programme traduisit ainsi une triple défaillance de l’UE :

  • L’absence de solidarité entre les pays de l’Union, en particulier dans leur soutien à l’Italie
  • Une incapacité à mesurer la détermination de personnes qui veulent à tout prix échapper à la violence et à la désespérance
  • Une myopie collective sur les risques encourus par les migrants lors de traversées sauvages.

Ce repli dans l’implication de l’Union européenne au service du sauvetage, est d’autant plus inacceptable que l’UE est par ailleurs l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence15.

On assiste donc en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyenne aux comportements obscurs et violents, et -par transfert de mandat- à des ONG. Ces organisations sont pourtant soumises à des stratégies délibérées de harassement et d’empêchement à agir. Sans aucune contribution financière de la part de l’UE aux profits des actions qu’elles déploient.

Certaines agences des Nations unies se sont, elles-aussi, exprimées publiquement en 2023 pour dénoncer la situation qui prévaut en Méditerranée. Dans une prise de parole commune, l’OIM, le HCR et l’UNICEF ont publiquement appelé les Etats à « prendre leurs responsabilités »16.

Une stupéfiante stratégie : ne pas aider, et entraver ceux qui aident…

Primum non nocere !

La formule, - familière pour les professionnels de santé - semble ne pas inspirer la politique européenne, bien au contraire.
Malgré les besoins et les drames récurrents, on assiste de la part de certains pays de l’Union Européenne (UE), au déploiement de stratégies délibérées d’épuisement. Elles sont développées sciemment pour contrer les opérations de secours en mer, situation inacceptable au regard du droit.

Ainsi, en décembre 2023, l'Ocean Viking, navire affrété par SOS méditerranée, a secouru 26 personnes. Le port lointain de Livourne a été assigné au navire pour le débarquement des rescapés. Ce port était à plus de 1000 km (soit plusieurs jours de navigation) de la zone de secours des naufragés, alors qu'il y avait à cette période des besoins cruciaux de capacités de recherche et de sauvetage17.

Ce scénario s’est renouvelé dès janvier 2024 : nouvelle désignation de Bari pour le débarquement, éloigné de 1100 km du point de prise en charge d’un groupe de 71 personnes (dont 5 femmes et 16 mineurs non-accompagnés). L’effet recherché est à la fois l’incapacité du bateau à agir pendant plusieurs jours, et l’aggravation des dépenses en carburant que doit engager l’association (plus de 500 000 euros de surcoût en 2023).

 

« Port-sûr » imposé au navire de SOS Méditerranée en décembre 2023, avec 26 personnes secourues à son bord.

 

La question cruciale de l’immobilisation récurrente des navires de sauvetage


Une photographie de la situation globale des navires de sauvetage à l’approche de l’été 2021 rend compte des paralysies répétées des moyens de secours qui existait déjà à cette date. La quasi-totalité des navires étaient ainsi immobilisés à la mi-juin 2021. Le Geo Barents, affrété par l’ONG Médecins sans frontières depuis le 26 mai, était alors le seul bateau d’ONG opérationnel en Méditerranée centrale, avec l’Aita Mari du collectif espagnol Maydayterraneo.

Si certains navires furent retenus à quai pour effectuer une quarantaine ou des opérations de maintenance, la plupart ont alors été immobilisés par les autorités italiennes pour des raisons beaucoup plus opaques, notamment pour des « irrégularités de nature technique ».

Le Sea-Eye 4 de l’ONG allemande Sea-Eye, fut bloqué le 4 juin par les garde-côtes italiens pour « non-respect des règles de sécurité » après avoir effectué une quarantaine au port sicilien de Pozzallo. Il en alla de même pour l’Open Arms (Proactiva Open Arms), le Louise Michel (Banksy), le Mare Jonio (Mediterranea Saving Humans) ainsi que pour les navires Sea-Watch 3 et 4 (Sea-Watch) et l’Alan Kurdi (Sea-Eye), après avoir été immobilisé par les autorités italiennes pendant près de six mois en Sardaigne18.

 

La stratégie d’entrave des navires s’est encore renforcée à partir de 2023

La législation italienne a alors intégré les effets du décret-loi « Piantedosi », qui limite la capacité des navires des ONG de recherche et de sauvetage à effectuer plusieurs opérations de secours consécutives. Tout écart, pour des motifs parfois aussi futiles que pernicieux, peut désormais conduire le navire et son équipage à une immobilisation forcée.

L’interpellation du ministre italien à l’origine du décret, par la Commissaire aux droits de l’homme de Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, pour demander le retrait du décret, est pourtant restée sans effet19. L’ONG SOS Méditerranée s’est ainsi trouvée confrontée à de tels blocages deux fois en quelques semaines, en novembre et décembre 202320.

Sur l’ensemble de l’année 2023, 16 détentions administratives ont ainsi été prononcées en Italie sur la base du nouveau décret, immobilisant les différents navires durant 320 jours cumulés. En désignant des ports distants pour débarquer les rescapés, les autorités italiennes ont de plus imposé aux bateaux l’équivalent d’une année de navigation inutile21, pénalisant lourdement les dépenses en combustible des navires de sauvetage des ONG.

 

Les foucades climatiques de la Méditerranée : « les médicanes »

Ainsi se déploient en toute impunité des situations de « non-assistance à personnes en danger » alors-même que les tentatives de traversée se déroulent dans une mer connue pour ses brusques accès de colère. La montée en puissance de ces tempêtes est aujourd’hui connue sous le néologisme « médicane ».

On appelle Médicane (contraction de « Mediterranean Hurricane ») un système dépressionnaire orageux générant des vents forts en Méditerranée, et tourbillonnant autour d'un centre à coeur chaud. Ces tempêtes sont plus scientifiquement dénommées « cyclones subtropicaux Méditerranéens ». Même si leur taille et leur puissance sont nettement moins importantes qu'un véritable cyclone tropical (les vents y atteignent rarement les 150km/h, sauf dans les cas les plus extrêmes), elles possèdent certaines caractéristiques proches22.

Durant les sauvetages effectués en décembre 2023, l’Ocean Viking, non-content de se voir attribuer un port de débarquement lointain, a ainsi essuyé un refus, en chemin pour Livourne, de pouvoir se mettre à l’abri dans un port protégé, alors que sévissait une tempête de force 8…

 

Le médicane « Hélios » Source : https://www.meteo-paris.com/actualites/le-medicane-helios-provoque-d-importantes-intemperies-sur-la-sicile, février 2023.

 

Historique des trajectoires des Médicanes recensés entre 2000 et 2020 - Navigation-Mac

 

Des mesures urgentes et concrètes sont dès-lors impératives, qui réaffirment la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours et la priorité du primum non nocere.

Les nécessaires évolutions dans l’organisations des secours en mer


A. Réaffirmer des principes généraux aujourd’hui occultés

Un rappel du caractère intolérable au plan moral et politique de l’acceptance et de l’inertie des gouvernements des Etats-membres de l’UE devant les drames récurrents et la fin du cercle vicieux que provoque les financements européens à destination de la Libye et de la Tunisie, aujourd’hui principal point de départ pour les tentatives de traversée.

Un rappel du droit international, européen et national concernant la mise en oeuvre impérative des secours.

La réaffirmation des éléments de droits pourra se fonder sur l’explicitation des textes de références qui régissent le Droit de la mer et le Droit International Humanitaire.
Ces éléments de droits pourront utilement comprendre l’explicitation des condamnations pénales auxquelles s’exposent les personnes qui se refusent à secourir les naufragés. Les équipages des navires qui croisent des embarcations en détresse - et qui pourraient intervenir – dérogent, en ne portant pas secours aux embarcations en perdition -, à l’impérative assistance à personnes en danger.

Un appel à la transparence concernant les mécanismes de soutien mis en oeuvre à destination des autorités libyennes et tunisiennes par l’UE :
La nécessité d’une enquête portant sur la nature et l’utilisation des ressources (matériel, financement, formations, RH…).
La nécessaire mise en oeuvre de mécanismes de redevabilité régulièrement et officiellement publiés pour garantir la transparence et la légalité du soutien apporté.

Un rappel de la situation politique, sécuritaire et humanitaire en Tunisie et en Libye, et plus particulièrement des investigations sur les agissements des autorités maritimes libyennes.

L’appel à se doter de tous les moyens nécessaires pour permettre d’identifier les noyés dont les corps sont retrouvés. Cette identification est impérative pour que soit ainsi réaffirmée leur inaliénable humanité, et les moyens d’informer objectivement les familles des personnes décédées23.

 

B. Mettre en oeuvre les actions que requiert la dimension humanitaire des secours aux naufragés

La nécessaire reconnaissance de la Méditerranée Centrale, et d’autres théâtres de crise humanitaire en haute mer, comme espace humanitaire. L’appel à élaborer les éléments de droits sur lesquels fonder la reconnaissance de cet espace humanitaire et de ses attributs (juridiques et financiers entre autres).

Les bailleurs de fonds bilatéraux (étatiques), européens (ECHO), et multilatéraux (dont les Nations-Unies) doivent intégrer la Méditerranée centrale dans leurs plans de financement de l'aide humanitaire internationale.

Les opérations de recherche et de secours ne peuvent pas être criminalisées pour ce qu’elles sont, mais reconnues comme des opérations humanitaires et protégées comme telles.

Une coordination effective des activités de recherche et de secours en Méditerranée (Search And Rescue, SAR en anglais) doit être mise en place par les pays riverains concernés, avec le soutien de l’UE. Les Etats européens doivent coopérer plus étroitement et plus efficacement pour améliorer le déroulement des opérations de sauvetage elles-mêmes.

Les modalités d'assignation d'un « lieu-sûr » pour le débarquement des rescapés doivent être explicitées, systématisées et améliorées dans la perspective de faciliter les sauvetages.

L’assignation délibérée, - non argumentée- de ports très éloignés pour le débarquement des naufragés doit être prohibée. Cette stratégie « déshabille » en permanence les faibles moyens de secours existants, pour des naufragés, dont une proportion non négligeable est composée de mineurs. Elle renforce les risques de naufrages mortels. Elle est incompréhensible à l’heure ou l’Europe prône l’exemplarité environnementale.

Les mesures contraignantes et répétitives d’immobilisation des navires, pour des motifs parfois fallacieux, doivent cesser.

L’ensemble de ces demandes ont fait l’objet d’une déclaration en urgence de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, en France, parue au Journal Officiel de la République le 23 octobre 202324.

Le dispositif Mare nostrum continue de servir de référence intéressante pour restaurer de la sécurité. Les organisations humanitaires doivent plaider pour le réinvestissement solidaire et concret des Etats européens dans les sauvetages en Méditerranée. Elles ne peuvent se satisfaire de la seule délégation de responsabilité dont elles ont hérité par défaut des politiques publiques de l’UE, comme antidote à la violence incontrôlée en vigueur dans les pays de la rive-sud de la Méditerranée. La récente signature du « Pacte sur les migrations et l’asile », n’a rien de rassurant pour l’avenir. En retenant une définition du nouveau concept de « l’instrumentalisation des migrations » qui pourra inclure les ONG si elles ont « pour objectif de déstabiliser l’Union », le pacte laisse le champ libre aux Etats européens pour criminaliser les organisations civiles de secours et de sauvetage en mer25. La composition du futur parlement européen, que des prévisions donnent avec une progression nette de l’extrême droite après les élections de juin 2024, pourrait avoir des conséquences sur la gestion des naufrages aux portes de l’Europe26. L’annonce de la candidature de M. Fabrice Leggeri, ancien directeur controversé de l’agence Frontex, ne peut que renforcer les inquiétudes. Le rôle et la vigilance des organisations issues de la société civile restent ainsi d’une cruciale importance. Elles doivent pouvoir s’unir pour changer la politique de l’UE en la matière, en revendiquant sans complexe la légitimité opérationnelle qu’elles déploient partout dans le monde. Pourquoi en irait-il autrement aux portes de l’Europe ?

 

Fred Kleinberg, ADAGP27

 


Références et bibliographie

1 « Il faut un nouveau pacte mondial pour financer l’aide humanitaire internationale », le Monde, 17 juillet 2023. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/17/il-faut-un-nouveau-pacte-mondial-pour-financer-l-aide-humanitaire-internationale_6182356_3232.html 
2 https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/09/19/la-mediterranee-centrale-redevient-la-premiere-porte-d-entree-irreguliere-vers-l-europe_6190009_4355770.html 
3 https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/migration-flows-to-europe/ 
4 https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/02/02/en-cote-d-ivoire-les-ressortissants-saheliens-inquiets-apres-l-annonce-de-la-sortie-de-leur-pays-de-la-cedeao_6214452_3212.html 
5 https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/11/28/niger-le-regime-militaire-abroge-une-loi-contre-les-trafiquants-de-migrants_6202734_3212.html#:~:text=Le%20r%C3%A9gime%20militaire%20nig%C3%A9rien%20a,soir%2027%20novembre%2C%20le%20gouvernement
6 https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/09/en-2023-l-europe-a-fait-face-a-un-rebond-migratoire-venu-du-sud_6209816_3212.html 
7 Conventions SOLAS - 1974 (Safety Of Life At Sea) ; https://www.imo.org/en/About/Conventions/Pages/International-Convention-for-the-Safety-of-Life-at-Sea-(SOLAS),-1974.aspx 
UNCLOS Montego Bay, 1982 (United Nations Convention on the Law of the Sea); https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_e.pdf 
IMO - MSC 167 (78), 2004 Directives sur le traitement des personnes secourues en mer. https://wwwcdn.imo.org/localresources/fr/MediaCentre/HotTopics/Documents/Pages%20from%20MSC%2078-26-Add.2%20-%20FR.pdf 
Convention SAR - 1979 (SearchAndRescue) 
https://www.imo.org/fr/about/Conventions/Pages/International-Convention-on-Maritime-Search-and-Rescue-(SAR).aspx 
(Convention SAR, chapitre 2 § 2.1.1)
(Convention SAR, chapitre 3.1.9).
8 Convention et Protocole relatifs au Statut des Réfugiés
https://www.unhcr.org/fr/media/convention-et-protocole-relatifs-au-statut-des-refugies 
Legal considerations on the roles and responsibilities of States in relation to rescue at sea, non-refoulement, and access to asylum (2022) : https://www.refworld.org/docid/6389bfc84.html 
9 https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/15/aucune-disposition-en-matiere-de-lutte-contre-l-immigration-illegale-ne-saurait-justifier-un-renoncement-aux-obligations-du-droit-international_6206048_3232.html 
10 https://sosmediterranee.fr/sauvetage-en-mediterranee/ 
11 https://www.mediapart.fr/journal/international/111018/migrants-le-hold-de-la-libye-sur-les-sauvetages-en-mer 
12 https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/eu-action-migration-libya/ 
13 https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/saving-lives-sea/ 
14 https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Mare_Nostrum 
15 Development initiatives 2023, op.cit, Fig1.5, p.34
16 https://news.un.org/fr/story/2023/08/1137522 
17 https://sosmediterranee.fr/sauvetages/sauvetage-26-personnes/ 
18 Cette partie est directement tirée de la publication :
https://www.vuesdeurope.eu/question/sur-les-10-navires-humanitaires-menant-des-operations-de-recherche-et-de-sauvetage-de-migrants-en-mediterranee-combien-etaient-immobilises-au-15-juin/ 
19 https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/le-gouvernement-italien-devrait-envisager-de-retirer-le-d%C3%A9cret-loi-qui-pourrait-entraver-les-op%C3%A9rations-de-recherche-et-de-sauvetage-en-mer-des-ong 
20 https://www.francebleu.fr/infos/societe/l-ocean-viking-immobilise-20-jours-en-italie-il-y-a-la-volonte-de-stopper-les-ong-selon-sos-mediterranee-3962240 
21 SOS Méditerranée, Newsletter, #80 • 5 février 2024 
22 https://www.meteo-paris.com/actualites/le-medicane-helios-provoque-d-importantes-intemperies-sur-la-sicile 
23 https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/30/migration-inscrivons-l-obligation-d-identification-des-defunts-anonymes-dans-le-droit-europeen_6187087_3232.html 
24 https://www.cncdh.fr/actualite/sauvetage-des-migrants-en-mediterranee-la-cncdh-adopte-une-declaration 
25 https://www.lacimade.org/accord-sur-le-pacte-ue-migrations-et-asile-leurope-renonce-a-lhumanite-et-la-solidarite/#:~:text=En%20retenant%20une%20d%C3%A9finition%20du,et%20de%20sauvetage%20en%20mer
26 Composition estimée du Parlement européen après les élections de juin, le Monde, 28-29 janvier 2024, p4.
27 L’image du tableau de Fred Kleinberg est utilisée avec l’aimable autorisation de l’artiste.